Une condamnation à mort commuée en prison à vie et quinze acquittements. Ce verdict du tribunal d'Alger a mis fin, lundi soir après dix jours d'audience, au procès en appel de la mutinerie de Serkadji. La page est ainsi tournée sur l'une des affaires les plus troubles et atroces de la «sale guerre».
Le 22 février 1995, l'intervention des forces de sécurité dans la prison de Serkadji, à Alger, a tourné au bain de sang: 100 détenus ­ dont 81 islamistes ­ tués et quatre gardiens «égorgés par les mutins», selon les autorités. En fait, morts dans des conditions aussi obscu res que le déclenchement de la mutinerie (Libération du 21 mars 2001). Cette rébellion fut-elle, comme le veut la thèse officielle, «une tentative d'évasion fomentée par les GIA avec la complicité d'un gardien» (Abdelhamid Mebarki, condamné à perpétuité)? Ou, comme l'affirment les organisations de droits de l'homme, un «simulacre de mutinerie» organisé pour éliminer des dizaines d'islamistes, dont plusieurs chefs du FIS détenus à Serkadji?
En 1998, un premier procès n'avait pas permis d'éclaircir les zones d'ombre de cette sédition dans une prison réputée l'une des plus dures du pays. Le jugement en appel n'y a pas davantage contribué. Deux des avocats de la défense se sont d'ailleurs retirés au début des audiences pour protester contre le rejet de leur demande de faire comparaître des témoins qui, au moment des faits, occupaient des postes clés au sommet de l'Etat ­ l'ancien président Zeroual et l'ex-ministre de la Défense Khaled Nezzar ­ et de la hiérarchie policière et judiciaire.
«Une centaine de détenus ont été massacrés. Il est normal, estime Me Khelili, que les hommes qui étaient alors à la tête de l'Etat soient appelés à témoigner sur la gestion qui a conduit à cette boucherie.» «Ils n'ont pas de relation directe avec l'affaire jugée», a tranché la présidente.
Six ans après le carnage, les principales questions demeurent: qui a fait sortir les détenus de leurs cellules ce 21 février? Pourquoi et par qui les gardiens ont-ils été tués? Pourquoi aucune autopsie ni étude balistique n'ont-elles été effectuées? Pourquoi les forces de l'ordre ont-elles commencé à tirer quelques secondes seulement après que les autorités eurent donné dix minutes aux mutins pour regagner leurs cellules, à la suite d'un accord négocié par Abdelkader Hachani (l'un des principaux dirigeants du FIS, assassiné en 1999 à Alger)? Pourquoi le directeur de la prison, alerté sur une possible mutinerie, n'a-t-il pas pris de mesure préventive?
Face à des déclarations truffées d'oublis et de démentis, les avocats ont eu beau jeu de dénoncer des «témoignages de repris de justice, de personnes ayant un conflit avec les prévenus ou d'hommes affirmant avoir parlé sous l'emprise de la colère ou par vengeance». Certains ont pourtant eu des accents de sincérité. Tel le fils d'un vieux gardien assassiné. «Les derniers temps, dit-il, mon père avait demandé à être muté ou à prendre sa retraite. Il ne voulait plus rester à Serkadji. Il disait que des personnes étrangères y venaient et que ce n'était pas normal.».
José GARÇON