ELWATAN-ALHABIB
vendredi 8 décembre 2017
 

Allégeance de Washington à l’Etat-colon






Donald Trump vient d’annoncer que les USA reconnaissent Jérusalem comme la capitale d’Israël et que l’État hébreu, en tant qu’État souverain, “a le droit de déterminer sa propre capitale”. Cette décision est un camouflet infligé au droit international par la première puissance mondiale. Colonisée et annexée par Israël, Jérusalem-Est est considérée par les Palestiniens comme la capitale de leur futur Etat. Pour l’ONU, c’est un territoire occupé en violation de la légalité internationale, comme l’affirmaient déjà les résolutions 242 et 338 du conseil de sécurité.
Mais cette décision est-elle vraiment une surprise ? Elle date de la campagne présidentielle de 2016, et Donald Trump n’en a jamais fait mystère. Boudé par Wall Street qui lui préférait Hillary Clinton, le candidat républicain voulait à tout prix allumer des contre-feux pour rattraper son retard. Il lui fallait obtenir des appuis auprès du lobby sioniste, au risque de voir la victoire lui échapper. Flairant le danger, Donald Trump s’est alors livré à son exercice favori : il a fait de la surenchère pour damer le pion à Hillary Clinton.
Invité à l’assemblée annuelle de l’AIPAC, le 21 mars 2016, Donald Trump fait l’impossible pour faire oublier ses déclarations antérieures. Il refusait de prendre position sur la question palestinienne tant qu’il ne serait pas à la Maison-Blanche. Il hésitait à dire si les États-Unis devaient reconnaître ou non Jérusalem comme capitale d’Israël. Il disait que l’Etat hébreu devait payer l’aide militaire octroyée par les USA. Désormais, c’est fini. En vingt minutes, il dit à son auditoire ce qu’il voulait entendre et il obtient des salves d’applaudissements. Debout, en “standing ovation”.
Il affirme qu’il est un “soutien de longue date et ami réel d’Israël”. Avec lui à la présidence des États-Unis, Israël ne sera plus traité “comme un citoyen de seconde zone” ! Interrogé le jour même par CNN, il déclare qu’il est prêt à déplacer l’ambassade US à Jérusalem. Manifestement décidé à faire mieux que Clinton, il accuse l’Iran d’être “le plus grand sponsor du terrorisme mondial”, d’établir en Syrie un nouveau front dans le Golan contre Israël, de fournir des armes sophistiquées au Hezbollah libanais, et de soutenir le Hamas et le Djihad islamique.
Mais ce discours complaisant n’a pas suffi. Délaissé par les siens, Trump sait qu’il manque de soutiens parmi les donateurs juifs du parti républicain. Ces bailleurs de fonds à l’ancienne, sponsors traditionnels du parti conservateur, sont rebutés par la rhétorique d’un candidat hostile au libre-échange et allergique au “système”. Ils préfèrent se tourner vers une candidate qui n’a jamais lésiné dans son soutien à Israël et au complexe militaro-industriel. Après tout, l’essentiel c’est le business. Pour Donald Trump, du coup, la tâche est rude. Afin d’inverser la tendance, il faut absolument faire quelque chose.
A neuf semaines du scrutin, le candidat républicain se résout à abattre sa dernière carte. Elle lui permettra, espère-t-il, de surpasser Hillary Clinton, de la prendre à revers sur son propre terrain. C’est alors qu’il rencontre publiquement Benyamin Nétanyahou, le 26 septembre 2016. A l’issue de cette entrevue, à New York, Trump promet de reconnaître Jérusalem comme “la capitale indivisible d’Israël” et d’y installer l’ambassade américaine s’il est élu à la présidence. Fabuleux cadeau à l’Etat d’Israël, violation du droit international, cette concession à l’occupant serait lourde de conséquences. Trump le sait. Mais il était difficile de faire mieux pour séduire le lobby.
Fin septembre 2016, la “future capitale de l’Etat palestinien” passe donc à la trappe. La “solution à deux Etats” fait les frais d’une course à l’échalote entre deux candidats qui ont rivalisé d’imagination pour flatter le lobby. Habiles marionnettistes, les amis de Nétanyahou ont manipulé les deux pantins désarticulés qui se disputaient un pouvoir fantoche. Vainqueur de cette compétition acharnée, Trump a décidé de balayer les illusions entretenues par ses prédécesseurs sur le rôle des USA. Il a emporté la mise le 8 novembre 2016. Nous sommes le 6 décembre 2017. Il aura mis un an à payer l’addition.
En reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, en y installant leur ambassade, les USA offrent au projet d’Etat palestinien un enterrement de première classe. Ils donnent eux-mêmes le coup de grâce à un “processus de paix” dont ils furent les parrains. “L’heure est venue”, a déclaré Donald Trump devant les chaînes de télévision le 6 décembre. L’heure était donc venue, pour Washington, de balayer tout espoir de paix. A la face du monde, le président américain vient de déclarer que la partie est finie. Quitte à décrédibiliser ses alliés arabes, il proclame que le fait accompli colonial en Palestine est irréversible.
Ruinant par avance toute perspective de négociation, ce geste spectaculaire trahit l’allégeance de Washington aux intérêts de l’Etat-colon. A quoi bon négocier si l’enjeu de la négociation (la possibilité d’un Etat palestinien ayant Jérusalem-Est pour capitale) est pulvérisé par Washington ?
Paradoxalement, cette ultime reddition américaine aux exigences israéliennes sonne le glas d’une illusion à laquelle les autres puissances, occidentales ou arabes, feignaient de croire encore. Donald Trump vient de leur administrer une douche froide, en leur rappelant qui est le leader du “monde libre”.
Mais il y a plus. En validant la rhétorique israélienne sur “Jérusalem réunifiée”, le président américain restaure également la primauté du théologique sur le politique. Les prétentions sionistes sur la Ville sainte se réclament du texte biblique. En les accréditant, Trump réintroduit le sacré dans un conflit d’essence profane. Il percute le droit international avec le droit divin. Il masque d’un écran de fumée l’affrontement qui oppose l’occupant et l’occupé. Cette concession à la mythologie sioniste occulte la lutte de libération nationale du peuple palestinien. A une époque ou la manipulation du “religieux” sert l’impérialisme, ce n’est pas innocent.
Bruno Guigue
 
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