La chronique de Benchicou : 10e anniversaire de Bouteflika une imposture algérienne, la peur d’un livre
le 29 mars 2014
Mohamed Benchicou.
Il y a dix ans, à pareille époque, c’est-à-dire une époque marquée
par cette même espèce de fureur scélérate au moyen de laquelle forbans
et mercenaires s’apprêtaient à reconduire le prince – alors, en
meilleure forme – pour un deuxième mandat, paraissait en Algérie et en
France ce livre dont, à vrai dire, je ne me doutais pas qu’il pût être, à
ce point, un écrit de l’augure, dont je ne soupçonnais rien de
l’empreinte qu’il allait rageusement apposer sur le temps et, je
l’avoue, dont je m’attendais pas qu’il suscite un tel désarroi au sein
du pouvoir. Deux années de prison et un journal démoli. Ce pouvoir illégitime a
peur d’un livre ! C’est ce que me rappelle le dixième anniversaire
de « Bouteflika une imposture algérienne », à l’occasion duquel je lève
un verre à la santé de ceux qui préservent un peu de notre honneur,
qu’ils soient de « Barakat ! » ou des groupes citoyens révoltés moins
médiatisés. Derrière les ricanements mercenaires entourant aujourd’hui la
résistance au quatrième mandat, derrière l’ironie du légionnaire Amara
Benyounès raillant « le microcosme d’Alger » et les sarcasmes
du sergent-supplétif Abdelmalek Sellal moquant grassement le mouvement
« Barakat ! », se profile un régime trouillard, effrayé par tout ce qui
s’agite, tenaillé par une peur médiévale, la peur d’un livre. Peur d’un
mot, d’une lueur dans la nuit. « Bouteflika une imposture algérienne », je l’avais voulu simple
bouteille à la mer : huit mille exemplaires, avions-nous demandé à
l’imprimeur. Il nous aura fallu tirer dix fois plus, sans arriver à
satisfaire la demande ! On le dit plus grand succès de librairie depuis
l’indépendance. Je n’en sais rien. En France, « Bouteflika une imposture
algérienne » figura longtemps dans de prestigieux palmarès comme celui
de l’Express RTL, du Point ou de l’Hebdo des livres, devant des ouvrages
de journalistes réputés comme l’Autre d’Eric Zemmour ou le Roman du
Kremlin de Vladimir Vedorowski, se frayant une place dans le box-office
parisien, derrière des monstres de la littérature et de l’essai tels
Jean d’Ormesson, David Servan-Schreiber, François de Closets ou des
succès de librairie comme Le Document de soeur Emmanuelle ou De Gaulle,
mon père écrit par le fils du général et qui tenait le haut de l’affiche
depuis des semaines. On estime à trois millions le nombre de personnes qui l’ont
téléchargé sur internet. Possible. « Bouteflika une imposture
algérienne », c’est le succès d’une société anonyme contre une société
secrète. Ils étaient venus de toutes parts, de ce pays profond que
découvre aujourd’hui Amara Benyounès à bord de sa limousine, pour un
exemplaire, bravant le gourdin du pathétique Zerhouni, se faisant
conduire au poste de police puis devant le juge, pour un livre, juste un
livre. Nous qui prétendons écrire, ne savons rien de ce que nous devons
à ceux qui nous lisent dans l’inconfort des patries muselées. Le dispositif policier mis en place par le ministre de l’Intérieur
autour du siège du journal Le Matin était censé dissuader les lecteurs.
C’était mal les connaître : près de deux mille personnes étaient venues
ce jour-là acheter leur livre dédicacé, parfois après plus de trois
heures d’attente ! Surpris et furieux de les voir sortir avec le brûlot
tant décrié, et derrière lequel ils ont passé leur temps à courir, les
flics se vengèrent par des exactions inqualifiables sur les citoyens. Ils matraquaient à tout va, à commencer par les journalistes du Matin
dont ils embarquèrent une bonne dizaine ! Les personnes surprises en
possession de l’ouvrage furent conduites sans ménagement au commissariat
où elles subirent un interrogatoire et où leurs livres furent saisis.
Certaines furent molestées, d’autres carrément jetées à terre et
piétinées. Parmi elles, beaucoup de figures célèbres de la politique, de
la presse ou des arts, comme Ali Dilem, le caricaturiste, brutalisé et
conduit de force au commissariat. Les esclandres se multiplièrent alors : un ancien Premier ministre,
malmené par les flics, leur rendit coup pour coup ; une ancienne
maquisarde, conduite au commissariat, alerta des personnalités du
gouvernement qui la firent relâcher ; une autre à qui on venait de
saisir les livres, en acheta immédiatement de nouveaux qu’elle plaça
dans son corsage avec ce cri provocateur à l’intention des flics : «
Venez les prendre d’entre mes seins, maintenant ! » En dépit du cordon répressif, les lecteurs continuaient à affluer. La
séance de vente-dédicace dura cinq heures, jusqu’à épuisement du
premier stock. Devant cette affluence incontrôlable, des renforts de
police furent dépêchés, mais en vain : les gens continuaient de former
une file interminable devant le siège du journal. La police de Zerhouni se donnait en spectacle sous l’œil des
photographes et la presse n’a pas manqué de la brocarder le lendemain :
les brutalités policières étaient à la « une » de tous les journaux.
Reporters sans frontières, dénonçant l’interpellation de nos
journalistes et du caricaturiste Ali Dilem pour « détention du livre de
Mohamed Benchicou », exigea des autorités algériennes de « ne plus créer
d’entraves pour les médias qui souhaiteraient se procurer ce livre et
en rendre compte librement. » Oui, je lève un verre à la mémoire du poète. Deux années de prison et un journal démoli. Oui, j’avoue avoir fêté
ce dixième anniversaire en relisant Kabbani : « Le jour où ils m’ont de
la tribu chassé Parce qu’à l’entrée de la tente j’ai déposé Un poème
L’heure de la déchéance a sonné. » À suivre
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