C’est enfin le jour d’une commémoration particulière. Dix ans après l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Irak, un
lieu commun continue d’être énoncé à propos des motifs de l’invasion. Il s’agirait d’une guerre déclenchée pour contrôler l’immense réserve pétrolière du pays. D’autres continuent de croire, ou de faire croire, que l’expédition
avait pour but de démocratiser le régime de Bagdad et de fournir ainsi
un modèle pour les autres pays arabes. Un motif essentiel n’est pas évoqué aujourd’hui dans les innombrables
éditoriaux publiés par la plupart des grands médias de la presse
occidentale : le renforcement de l’hégémonie militaire israélienne au
Moyen-Orient.
Le 10 septembre 2002, un haut-fonctionnaire de l’Administration Bush, dénommé Philip Zelikow et exerçant alors ses compétences dans le contre-espionnage, avait tenu les propos suivants lors d’un colloque organisé par l’Université de Virginia :
« Why
would Iraq attack America or use nuclear weapons against us? I’ll tell
you what I think the real threat [is] and actually has been since 1990 –
it’s the threat against Israel.
And
this is the threat that dare not speak its name, because the Europeans
don’t care deeply about that threat, I will tell you frankly.
And the American government doesn’t want to lean too hard on it rhetorically, because it is not a popular sell »
Ce commentaire a été divulgué en
mars 2004 par le journaliste Emad Mekay pour le compte de l’agence
Inter-Press Service. Un mois plus tard, ce fut au tour de l’hebdomadaire
américain Business Week de rapporter également le propos.
En 2006, deux universitaires américains,
John Mearsheimer et Stephen Walt, finalisaient la rédaction d’un ouvrage
qui allait provoquer une controverse mondiale, lors de sa sortie un an
plus tard : « The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy » (traduit en français aux éditions La Découverte). Quelques mois avant sa publication, les deux auteurs ont rédigé un article préfigurant leur thèse consacrée à l’activisme du « lobby pro-israélien »
aux Etats-Unis. Il y est fait mention du commentaire de Zelikow à
propos de la sécurité d’Israël comme facteur explicatif des menaces
américaines contre Saddam Hussein.
L’intéressé a réagi en transmettant au magazine un droit de réponse.
Philip Zelikow dément catégoriquement avoir tenu de tels propos et
affirme s’être surtout focalisé sur les risques -en 1991- de la guerre
du Golfe pour la population israélienne et l’ensemble de la région.
Disponible sur Internet, un compte-rendu
du colloque, publié dès le lendemain -le 11 septembre 2002- par
l’Université de Virginie, suggère pourtant, sans reprendre en détail son
discours, que ce membre de l’Administration Bush avait bien insisté sur
la nécessité de défendre Israël contre la future menace « biologique ou chimique », présentée comme imminente, d’une hypothétique alliance entre l’Irak, le Hamas, le Hezbollah et Al-Qaïda.
Accusés de s’appuyer sur des sources biaisées, Mearsheimer et Walt ont aussitôt contre-attaqué en transmettant
au magazine la retranscription du passage incriminé du discours de
Zelikow dont ils affirment également détenir l’intégralité du texte.
Extrait replacé dans son contexte :
« Third. The unstated threat. And
here I criticise the [Bush] administration a little, because the
argument that they make over and over again is that this is about a
threat to the United States. And then everybody says: ‘Show me an
imminent threat from Iraq to America. Show me, why would Iraq attack
America or use nuclear weapons against us?’ So I’ll tell you what I
think the real threat is, and actually has been since 1990. It’s the
threat against Israel. And this is the threat that dare not speak its
name, because the Europeans don’t care deeply about that threat, I will
tell you frankly. And the American government doesn’t want to lean too
hard on it rhetorically, because it’s not a popular sell.
Now … if the danger is a biological
weapon handed to Hamas, then what’s the American alternative then?
Especially if those weapons have developed to the point where they now
can deter us from attacking them, because they really can retaliate
against us, by then. Play out those scenarios … Don’t look at the ties
between Iraq and al-Qaida, but then ask yourself the question: ‘Gee, is
Iraq tied to Hamas, and the Palestinian Islamic Jihad, and the people
who are carrying out suicide bombings in Israel?’ Easy question to
answer, and the evidence is abundant. »
Journaliste au New York Times, Philip Shenon a publié en 2008 un ouvrage
consacré aux coulisses de la commission d’enquête sur les attentats du
11 septembre 2001. Philip Zelikow était un membre-clé de cette
commission en tant que directeur exécutif. Dans son livre, Shenon révéla
qu’un conflit d’intérêt était manifeste dans les activités de Zelikow :
celui-ci avait, en effet, été chargé -sous couvert d’anonymat- de la
rédaction du rapport,
publié en septembre 2002, de la stratégie du Conseil de Sécurité
Nationale. Dans ce texte, le concept d’une guerre pré-emptive pour
défendre les Etats-Unis et le soutien tacite d’une intervention
militaire contre l’Irak sont deux idées-force majeures. Issu de
l’Administration Bush et partisan
de son envie d’en découdre avec Saddam Hussein, il était évident que
Zelikow n’était pas la personne la plus appropriée -en termes de
neutralité- pour examiner les éventuelles défaillances et autres fautes
criminelles commises par le sommet de l’Etat à propos du 11-Septembre.
Il allait pourtant être désigné pour diriger l’enquête officielle en dépit des protestations des familles de victimes.
Chose intéressante à son sujet, c’est le même homme, féru d’histoire politique, qui, souligna, lors d’une conférence tenue en 1998, l’importance et la nécessité des « croyances » et des « mythes » entretenus dans l’opinion publique.
La mythologie intacte du 11-Septembre
Aujourd’hui, alors que la presse occidentale n’hésite plus à parler du « mythe des armes de destruction massive »
qui a servi à l’Administration Bush pour justifier la guerre contre
l’Irak, la cécité et le déni de réalité perdurent à propos des attentats
du 11-Septembre. C’est pourtant la même équipe, néoconservatrice et ultra-sioniste, qui fut à la Maison Blanche et au Pentagone entre 2001 et 2003.
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