VIVA MARIAM !
par M. Saadoune
Quand on dispose d'Al-Jazira, le geste émiral d'aller
à Ghaza sus-cite une couverture massive. L'argent ne manquant pas, on met la
main au portefeuille pour montrer que l'on n'oublie pas la cause principale des
peuples arabes. Du côté de l'Autorité palestinienne, cette préférence du Qatar
pour le Hamas - qui comme tous les groupes liés à la confrérie des FM s'est
positionné contre Damas - suscite quelques aigreurs que l'on évite de trop
exposer. Après tout, l'Autorité palestinienne n'a rien de cohérent, non plus,
dans ses positionnements.
Mais si Al-Jazira - que l'on dit plutôt en perte
d'audimat au Maghreb - défend bien son vibrionnant émir, rien ne doit nous
empêcher de parler d'une jeune fille de Bahreïn, pays à la révolte populaire et
majoritaire boudée par Al-Jazira et ses consœurs, qui a choisi de boycotter une
rencontre organisée par l'Unesco à l'université du Connecticut pour rendre
hommage à son père, emprisonné à Bahreïn. Pourquoi ? Parce que dans une remarquable
démonstration de l'art manipulatoire du mélange des genres, on a décidé, dans
une «vente concomitante» grossière, de rendre également hommage au président
israélien Shimon Peres. Mariam Al-Khawaja qui était censée prononcer, hier, un
discours au nom de son père, Abdelhadi Al-Khawaja, embastillé «à perpétuité»
par le pouvoir bahreïni (sa sœur Zineb a été à son tour brutalement arrêtée ces
derniers jours et emprisonnée pour crime de «lèse-majesté»), a refusé
d'accréditer la combine. Dans une lettre ouverte adressée à l'Unesco, elle se
dit «flattée» que son père ait été choisi mais elle a dit sa déception de voir
qu'on lui rend hommage «avec une personne responsable de nombreuses violations
des droits de l'homme, et qui doit être traduite en justice, au lieu d'être
honorée».
Il faut en parler car le refus courageux de cette
instrumentalisation, au plan humain et politique, a beaucoup plus de valeur que
la visite, sans risque et publicitaire, de l'émir du Qatar à Ghaza. Et il n'est
pas inintéressant de souligner que cet acte éminemment politique de la jeune
Mariam a été quasi totalement ignoré par les médias arabes. En Algérie, les
médias ne sont pas limités dans l'expression sur Bahreïn, il reste qu'on ne
parle pas beaucoup de la situation de ce pays. Pas autant qu'il le faudrait en
état de cause. On le sait, pour les militants des droits de l'homme en lutte
contre les autocraties et les dictatures, obtenir l'attention et le soutien des
opinions publiques à l'étranger est un axe vital de leur action militante.
C'est une démarche que le verrouillage et la répression interne justifient
amplement, mais elle n'est pas sans risque. Comme celui d'être amené à taire ou
à minimiser les situations où, par exemple, les Occidentaux sont très largement
responsables ou coresponsables.
Il faut être
vigilant pour ne pas succomber à ce mélange des genres. Il faut être aussi
courageux et accepter de renoncer à des tribunes et des soutiens où l'on perd
le fil de son propre combat. Shimon Peres, aussi nobélisé qu'il soit, reste un
colonialiste, un raciste et n'a aucun magistère moral en matière de droits de
l'homme. C'est la couleuvre que l'on a tenté de faire avaler dans le
Connecticut. C'est la rançon obscène que Mariam Al-Khawaja, malgré l'immense
adversité dans laquelle se déroule la lutte pour les droits de l'homme à
Bahreïn, a refusé de payer. «Mon père disait toujours que lorsqu'il s'agit des
droits de l'homme, il n'y a pas de région grise. Soit tu soutiens les droits de
l'homme, partout, et tu t'opposes aux agresseurs de ces droits, soit tu ne le
fais pas», a déclaré Mariam Al-Khawaja. Clair, net et à méditer par ceux qui
voudraient nous imposer l'agenda de leurs indignations très sélectives
Enregistrer un commentaire