Des Iraniens, devant un distributeur de billets, à Téhéran le 23 janvier. (Photo Atta Kenare. AFP)
Vient-on réllement de franchir un cap dans la série de mesures contre l'Iran ?
Oui. Les réactions de l'Iran menaçant à nouveau de fermer le détroit
d'Ormuz le montrent. Le pétrole représente 80% de ses exportations, 60%
de son budget, donc Téhéran peut considérer que, là, on l'attaque
directement.
En quoi consistent exactement ces mesures ?
L'Union européenne veut progressivement arrêter d'acheter du pétrole,
alors que ses achats représentent pour l'Iran 20% de ses exportations.
Et, du côté américain, le Congrès a voté une loi qui veut interdire à
des pays tiers de travailler avec la Banque centrale d'Iran. Or, la
Banque centrale est là pour recycler les pétrodollars. Si c'était
respecté, ce serait un embargo total sur le pétrole iranien.
Quels sont les pays européens qui commercent encore avec l'Iran ?
Les pays qui importent le plus de pétrole iranien sont les pays qui
vont le plus mal en Europe : la Grèce, l'Italie et l'Espagne. Quelque
15% de leur pétrole vient d'Iran, ils doivent donc trouver absolument
dans les prochains mois un autre fournisseur. Mais, honnêtement, ils
n'ont pas vraiment voix au chapitre lors des décisions actuelles.
L'embargo du pétrole iranien est le fait de la France et de
l'Angleterre.
Seule un petite partie du pétrole iranien est exportée vers l'Europe, ces sanctions ont-elles une réelle efficacité ?
Il y a eu un article récent dans le Financial Times, qu'on
ne peut pas vraiment soupçonner de sympathie pour la République
islamique, qui disait que les embargos pétroliers ne marchent jamais.
Déjà, les politiques de sanctions ne fonctionnent pas, et les embargos
sur le pétrole encore mois car il y a toujours des pays pour acheter. La
Chine notamment a de gros besoins et, si elle peut acheter plus de
pétrole iranien pour moins cher, elle ne va pas se gêner. L'Inde ou la
Corée du Sud sont dans la même situation.
L'Iran aura peut-être un peu moins d'argent, mais cela ne va pas
ruiner son économie. Deuxièmement, on oublie aussi que les exportations
non pétrolières de l'Iran, notamment vers l'Irak et l'Afghanistan, sont
en augmentation ces dernières années. Ils vendent des produits
manufacturés bon marché, notamment du textile bas de gamme, vers des
pays qu'ils connaissent bien. Ils font concurrence à la Turquie
notamment.
Paradoxalement, cet embargo peut donc rendre service à Téhéran dans
le sens où cela l'incite encore plus à développer ses efforts pour être
moins dépendant du pétrole.
Les Européens et les Américains peuvent-ils convaincre les
importateurs asiatiques, notamment l'Inde ou la Chine, de prendre des
mesures ?
Non. La Chine ne cèdera jamais là-dessus. Elle pense avec raison
qu'on sort de la question du programme nucléaire. Là, c'est une attaque
contre le pays, avec l'idée que les gens sortent dans la rue, qu'il y
ait des tensions sociales pour entraîner un changement de régime.
Les Indiens trouvent, eux, la politique occidentale vis-à-vis de
l'Iran assez enfantine et un peu ridicule. Ils exportent de plus en plus
vers ce pays, et ils ont aussi d'énorme besoin en énergie.
Concrètement, comment les Etats-Unis peuvent-ils mettre en
application leurs menaces contre les pays qui continuent de commercer
avec l'Iran ?
Ce sont des pressions amicales. Ils font des lois extraterritoriales
et menacent de ne plus travailler avec les pays qui commercent avec
l'Iran. Le Japon, du fait de l'histoire, peut être sensible à ces
pressions. Les rapports de force avec la Chine ou l'Inde ne sont pas les
mêmes.
Est-ce que cela va contribuer à unir ou diviser le pouvoir iranien ?
La caractéristique de ce régime est que les hommes forts se tirent en
permanence dans les pattes. Cependant, toute pression extérieure peut
aussi rassembler le régime et renforcer le nationalisme contre l'ennemi
commun. Cela renforce les extrêmes, ceux qui disent : «Voyez, on ne peux pas faire confiance aux Occidentaux, on ne peut pas négocier avec eux.»
Sur le nucléaire, depuis le début des sanctions, l'Iran est passé de
3% d'enrichissement à 20%. Les faits sont là. Le gouvernement iranien
est allé tellement sur loin sur ce sujet qu'il serait compliqué pour lui
de revenir en arrière.
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