Tunisie/Libye : menace islamiste ?
Le
succès beaucoup plus large que prévu du parti Ennahda aux élections en
Tunisie, les manifestations devant le domicile du directeur de la
télévision tunisienne qui avait diffusé le film « Persepolis »,
l’annonce que la charia serait la source de la nouvelle constitution en
Libye ont suscité une vague de commentaires dans les médias français :
tout ça pour ça ? Les espoirs de révolution, de démocratie, de
renversement des tyrans vont être balayés par la prise de pouvoir des
islamistes ?
S’il convient de ne pas tomber dans l’angélisme, il faut
néanmoins raison garder et ne pas faire d’amalgames. Le premier à
éviter est celui qui est fait entre la Tunisie et la Libye. En Tunisie,
il y a eu une révolution populaire, suivie d’élections démocratiques qui
se sont déroulées de façon satisfaisante. En Libye, il y a eu le
renversement du dictateur par une guerre civile avec l’aide d’armées
étrangères.
On peut également souligner que la force des sociétés
civiles, le statut de la femme, le rapport à la laïcité sont tout à fait
différents dans les deux pays.
Le second amalgame à éviter est entre les salafistes,
qui ont manifesté contre le film « Persepolis » (et qui n’ont pas eu le
droit de concourir aux élections) et le parti Ennahda. Quand des
intégristes catholiques manifestent en France contre un film ou une
exposition, on ne les confond pas avec l’ensemble des catholiques
français.
Le parti Ennahda a eu un succès inattendu. C’est le
choix des Tunisiens. Nous ne pouvons pas produire la démocratie sous
condition de pouvoir déterminer pour les autres peuples « le bon
choix ».
Le parti Ennahda a promis de respecter les libertés, de
ne pas interdire la consommation d’alcool et de ne pas obliger les
femmes à porter le voile. Certes, il peut y avoir un double discours. On
voit quand même mal ce parti mettre en place de telles interdictions,
non seulement par rapport à la force de la société civile tunisienne,
mais tout simplement pour l’impact économique que cela pourrait avoir
sur le tourisme.
Par ailleurs le parti, tout en étant la première formation tunisienne, va devoir gouverner au sein d’une coalition.
Son succès s’explique également pour une large part par
le fait qu’il a été l’opposant historique de Ben Ali, que les pays
occidentaux soutenaient justement au nom de la lutte contre l’islamisme.
On peut être beaucoup plus inquiet pour la Libye. Certes
l’invocation de la charia ne signifie pas automatiquement qu’elle sera
la source unique d’inspiration de la nouvelle constitution. Elle peut
être une source parmi d’autres. L’annonce du rétablissement de la
polygamie est néanmoins inquiétante. Mais ce qui est beaucoup plus
perturbant concernant la Libye, c’est la façon dont le Conseil National
de Transition est arrivé au pouvoir ainsi que les conditions de la mort
de Kadhafi.
N’est-ce pas parce qu’il a été porté au pouvoir avec
l’aide étrangère que le CNT est obligé de faire de la surenchère à
propos de la charia pour montrer son caractère national et écarter le
reproche d’être dans les mains des puissances étrangères ? La
participation des forces occidentales à la capture de Kadhafi viendra
ajouter à la nécessité du nouveau pouvoir de renforcer le caractère
national de sa légitimité.
Son lynchage, quoi que l’on puisse penser du personnage,
suscite le trouble. L’exposition du corps à Misrata montre que la
volonté de vengeance l’emporte sur celle de réconciliation. Les
exécutions sommaires de soldats prisonniers, le sort fait aux Africains
ne sont pas admissibles. Le fait que l’on ait enterré le corps de
Kadhafi dans un lieu secret afin d’éviter de faire de sa sépulture un
lieu de pèlerinage, est un aveu indirect qu’il a conservé des partisans,
fussent-ils minoritaires. Au-delà de la place de la charia dans la
nouvelle constitution, il demeure un risque de poursuites des violences
sectaires en Libye.
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