ELWATAN-ALHABIB
vendredi 20 novembre 2009
 
Le budget du Pentagone : le plus élevé de tous les temps et en augmentation constante
Sara Flounders

Le 28 octobre, le président Barack Obama a signé le décret d’autorisation de la Défense pour 2010, c’est-à-dire le plus gros budget militaire de l’histoire des EU. Il n’est pas seulement le plus gros budget militaire au monde, il est en même temps plus important que l’ensemble des dépenses militaires du reste de la planète.

Et, d’année en année, il ne cesse de croître. Le budget militaire de 2010 – qui ne couvre même pas toute une série de dépenses ayant trait à la guerre – a été fixé à 680 milliards de dollars. En 2009, il était de 651 milliards alors qu’en 2000, il n’était encore que de 280 milliards. Il a donc plus que doublé en dix ans.

Quel contraste avec la question des soins de santé !

Le Congrès américain a ergoté autour d’un plan des soins de santé de base – une chose que possèdent tous les autres pays industrialisés sous une forme ou une autre – durant plus de six mois. Il y a eu d’intenses pressions de la part des compagnies d’assurances, des menaces de la droite et des mises en garde sévères : le plan des soins de santé ne pourrait accroître le déficit d’un seul cent.

Pourtant, au beau milieu de ce débat d’une importance vitale pour les soins médicaux des millions de travailleurs et de pauvres qui ne bénéficient d’aucune couverture de soins, une subvention gargantuesque aux plus importantes des sociétés américaines a été adoptée sans qu’il y ait pratiquement de discussion et d’articles dans la presse, alors que la chose concerne des contrats militaires et des systèmes d’armement, lesquels génèrent chaque fois de véritables déficits.

L’organisation Médecins pour un programme national de santé estime qu’un plan de santé entièrement financé par l’État coûterait 350 milliards de dollars par an, ce qui, en fait, équivaudrait au montant économisé avec l’élimination de tous les frais administratifs de l’actuel système privé de soins de santé – un système qui exclut presque 50 millions de personnes.

Comparez cela aux dépassements du budget militaire chaque année. Même le président Obama a déclaré, en signant le budget du Pentagone : « Le Bureau gouvernemental des comptes (GAO - Government Accountability Office), a examiné 96 importants projets de défense de l’an dernier et a découvert que les dépassements totalisaient 296 milliards de dollars. » (voir : whitehouse.gov , 28 octobre 2009)

La pyramide de Ponzi à 50 milliards de dollars de Bernard Madoff, dont certains prétendent qu’elle est la plus grosse arnaque de l’histoire, semble minable, en comparaison. Pourquoi n’y a-t-il pas d’enquête pénale sur ce vol de plusieurs dizaines de milliards de dollars ? Où sont les questions du Congrès ou les manifestations d’hystérie médiatique sur ces 296 milliards de dépassements ? Pourquoi les PDG des sociétés ne sont-ils pas amenés menottés au tribunal ?

Les dépassements de frais font partie intégrante des subventions militaires aux plus grandes des sociétés américaines. Ils sont traités comme des affaires ordinaires. Qu’importe le parti au pouvoir, le budget du Pentagone grossit, les dépassements de frais grossissent et la proportion des dépenses domestiques rétrécit.

Accro à la guerre


Le budget militaire de cette année n’est que le dernier exemple de la façon dont l’économie américaine est maintenue à flot à l’aide de moyens artificiels. Des décennies de relance constante de l’économie capitaliste via le stimulus des dépenses de guerre ont créé une dépendance morbide vis-à-vis du militarisme, au point que les entreprises américaines ne peuvent plus s’en passer. Mais ce moyen n’a plus l’ampleur suffisante pour résoudre le problème capitaliste de la surproduction.

On a justifié ce coup de seringue annuel de plusieurs centaines de milliards de dollars en disant qu’il contribuerait à amortir ou à éviter complètement une récession capitaliste et à résorber le chômage. Mais rappelons la mise en garde du fondateur du Workers World Party, Sam Marcy, en 1980, dans « Generals Over the White House » (Les généraux sont au-dessus de la Maison-Blanche), lorsqu’il parlait d’une très longue période pendant laquelle ces stimulants allaient être de plus en plus nécessaires. Finalement, il se fait qu’ils ont un effet diamétralement opposé et qu’ils se muent en un dépresseur massif qui contamine et pourrit toute la société.

La racine du mal réside dans le fait que la technologie devient plus productive, que les travailleurs ont une part de plus en plus restreinte de ce qu’ils produisent. L’économie américaine dépend de plus en plus du stimulant des superprofits et des dépassements des coûts militaires (296 milliards de dollars !) pour absorber une part de plus en plus grande de ce qui est produit. C’est une partie essentielle de la redistribution constante de la richesse loin des poches des travailleurs et directement dans celles des gens richissimes.

Selon le Centre du contrôle des armements et de la non-prolifération, les dépenses militaires américaines sont aujourd’hui considérablement plus élevées, en dollars 2009 ajustés à l’inflation, qu’elles ne l’étaient au plus fort de la guerre de Corée (1952 : l’équivalent de 604 milliards de dollars actuels), de la guerre du Vietnam (1968 : 513 milliards) et de la mise sur pied de l’ère militaire sous Reagan, dans les années 80 (1985 : 556 milliards). Et, pourtant, cela ne suffit plus à maintenir l’économie américaine à flot.

Même en forçant les pays riches en pétrole dépendant des EU à devenir des nations débitrices via des achats sans fin d’armes, on ne pourra résoudre le problème. Plus de deux tiers de toutes les armes vendues dans le monde en 2008 provenaient de sociétés militaro-industrielles américaines. (Reuters, 6 septembre 2009)

Alors que, dans les années 30, un gigantesque programme militaire était en mesure de tirer l’économie américaine d’un effondrement dévastateur, sur une longue période, ce stimulant artificiel sape les processus capitalistes.

L’économiste Seymour Melman, dans des ouvrages comme « Pentagon Capitalism » (Le capitalisme pentagonal), « Profits without Production » (Des bénéfices sans produire), « The Permanent War Economy : American Capitalism in Decline » (Une économie de guerre permanente : le capitalisme américain en déclin), mettait en garde contre la détérioration de l’économie américaine et du niveau de vie de millions de personnes.

Melman et d’autres économistes progressistes étaient partisans d’une « conversion économique » rationnelle ou d’un passage de la production militaire à la production civile par les industries militaires. Ils expliquaient comment un seul bombardier B-1 ou un sous-marin Trident pouvait payer les salaires de milliers d’enseignants, fournir des bourses ou des soins ambulants ou reconstruire des routes. Cartes et graphiques montraient que le budget militaire emploie beaucoup moins de travailleurs que les mêmes sommes dépensées pour couvrir les besoins civils.

C’étaient toutes des idées valables et raisonnables, hormis le fait que le capitalisme n’a rien de rationnel. Dans sa pulsion insatiable à vouloir maximiser les profits, il choisira les aumônes du superprofit immédiat et laissera de côté même les meilleurs intérêts de sa survie à long terme.

Pas de « dividende de paix »

Les grands espoirs, après la fin de la guerre froide et l’effondrement de l’URSS, de voir des milliards de dollars se muer désormais en « dividendes de paix » se sont écrasés face à la croissance astronomique continue du budget du Pentagone. Cette pénible réalité a tellement démoralisé et submergé les économistes progressistes qu’on n’accorde quasiment plus d’attention aujourd’hui à la « conversion économique » ou au rôle du militarisme dans l’économie capitaliste, même s’il est infiniment plus important aujourd’hui qu’aux moments les plus forts de la guerre froide.

Les centaines de milliards de dollars des subventions militaires annuelles sur lesquelles ont compté les économistes bourgeois depuis la Grande Dépression pour amorcer la pompe et réenclencher une fois de plus le cycle de l’expansion capitaliste ne suffisent plus, aujourd’hui.

Une fois que les sociétés sont devenues dépendantes des centaines de milliards de dollars de subventions, leur appétit n’a plus connu de limites. En 2009, dans un effort pour écarter la liquéfaction complète de l’économie capitaliste mondiale, on a refilé plus de 700 milliards de dollars aux banques les plus importantes. Et ce n’a été que le début. Le renflouage des banques se chiffre aujourd’hui en milliers de milliards de dollars.

Même 600 ou 700 millions de dollars par an de dépenses militaires ne peut plus relancer l’économie capitaliste ni engendrer la prospérité. Pourtant, l’Amérique des entreprises ne peut s’en passer.

Le budget militaire s’est accru dans des proportions si importantes qu’il menace maintenant de submerger et de dévorer la totalité du budget social. Son poids réel met à plat les fonds nécessaires à chaque besoin humain. Les villes américaines s’écroulent. L’infrastructure des ponts, routes, barrages, canaux et tunnels se désintègre. Vingt-cinq pour cent de l’eau potable américaine est considérée de « piètre qualité ». Le chômage atteint officiellement 10 pour cent et, en réalité, il est le double de ce chiffre. Le chômage chez les jeunes Afro- et Latino-américains dépasse les 50 pour cent. Quatorze millions d’enfants aux EU vivent dans des ménages situés en dessous du niveau de pauvreté.

La moitié des dépenses militaires sont cachées

Le budget militaire annoncé pour 2010, 680 milliards de dollars, ne représente en réalité qu’environ la moitié du coût annuel des dépenses militaires américaines.

Ces dépenses sont si importantes qu’il y a un effort concerté pour cacher de nombreuses dépenses militaires dans d’autres éléments du budget. L ‘analyse annuelle de la Ligue des opposants à la guerre a répertorié les véritables dépenses militaires américaines pour 2009 et les a évaluées à 1.449 milliards de dollars, et non pas l’officiel budget de 651 milliards. Wikipedia, citant diverses sources, est arrivé à un budget militaire total de 1.144 milliards. Mais qu’importe qui compte, il ne fait absolument aucun doute que le budget militaire dépassée aujourd’hui les 1.000 milliards de dollars.

Le Projet des priorités nationales, le Centre d’information sur la Défense et le Centre du contrôle des armements et de la non-prolifération analysent et dénoncent de nombreuses dépenses militaires cachées qu’on a planquées dans certaines autres parties du budget total des EU.

Par exemple, les allocations des vétérans, qui totalisent 91 milliards de dollars, ne sont pas reprises dans le budget du Pentagone. Les pensions militaires (48 milliards au total) sont répertoriées dans le budget du département du Trésor. Le département de l’Énergie cache dans on budget 18 milliards de dollars de programmes d’armes nucléaires. Les 38 milliards du financement des ventes d’armes étrangères est compris dans le budget du département d’État (= ministère des Affaires étrangères). L’un des postes cachés les plus importants représente les intérêts des dattes encourues lors des guerres passées : 237 milliards et 390 milliards de dollars. C’est en réalité un subside sans fin aux banques et celles-ci sont étroitement liées aux industries militaires.

Chaque partie de ces budgets goitreux est censée augmenter de 5 à 10 pour cent par an, alors que le financement des États et des villes par le fédéral diminue annuellement de 10 à 15 pour cent, ce qui amène des crises de déficit.

Selon le Bureau de la gestion et du budget, 55 pour cent du budget total américain pour 2010 ira à l’armée. Plus de la moitié ! Pendant ce temps, des pans entiers des dotations fédérales aux États et villes sur le plan des services humains vitaux – écoles, formation des enseignants, programmes de soins à domicile, repas scolaires, entretien des infrastructures de base de la distribution d’eau potable, entretien des égouts, des ponts, des tunnels et des routes – diminuent à vue d’œil.

Le militarisme nourrit la répression

L’aspect le plus dangereux de la croissance de l’armée est la pénétration insidieuse de son influence politique dans tous les domaines de la société. C’est l’institution la plus éloignée du contrôle populaire et la plus encline à l’aventurisme militaire et à la répression. Des généraux retraités font une tournante dans les conseils d’administration des sociétés, deviennent des vedettes du crachoir dans les principaux organes médiatiques, des lobbyistes, conseillers et hommes politiques grassement payés.

Ce n’est pas une coïncidence si, non contents de posséder la plus importante machine de guerre du monde, les EU ont également la plus importante population carcérale de la planète. Le complexe carcéro-industriel est la seule industrie à connaître une croissance. Selon le Bureau de la statistique du département américain de la Justice, plus de 7,3 millions d’adultes étaient en probation, en liberté sur parole ou incarcérés en 2007. Plus de 70 pour cent des personnes incarcérées sont des Afro- ou Latino-américain(e)s, des Amérindiens et autres personnes de couleur. Les adultes noirs risquent quatre fois plus la prison que leurs homologues blancs.

Exactement comme pour l’armée, avec ses centaines de milliers de contractuels et de mercenaires, la frénésie à vouloir maximiser les profits a abouti à une privatisation croissante du système carcéral.

Le nombre de détenus a augmenté sans relâche. Il y a 2,5 fois plus de gens dans le système carcéral actuel qu’il y a 25 ans. Comme le capitalisme américain est de moins en moins en mesure de procurer des emplois, des formations à l’emploi ou un enseignement tout court, les seules solutions proposées sont les prisons ou l’armée, provoquant ainsi la désolation chez les individus ou au sein des familles et des communautés.

Le poids de l’armée pousse l’appareil répressif de l’État vers toutes les couches de la société. Il y a une augmentation énorme des polices en tous genres et d’innombrables agences de police et de renseignement.

Le budget de 16 agences de renseignement américaines atteignait 49,8 milliards de dollars, pour l’année fiscale 2009 : 80 pour cent de ces agences secrètes de renseignement sont des bras du Pentagone. (Associated Press, 30 octobre 2009). En 1998, ces dépenses étaient de 26,7 milliards de dollars. Mais ces agences ultrasecrètes ne sont pas reprises dans le budget militaire. Pas plus que les agences de répression de l’immigration et de contrôle des frontières.

Les forces armées américaines sont stationnées dans plus de 820 bases militaires disséminées dans le monde entier. Et ce chiffre n’inclut pas les centaines de bases louées, de postes clandestins d’écoute et ainsi que les centaines de navires et de sous-marins.

Mais plus la machine militaire prend de l’ampleur, moins il est possible de contrôler son empire mondial, parce qu’elle n’offre pas de solutions ni n’améliore les niveaux de vie. Les armes high tech du Pentagone peuvent lire une plaque minéralogique de voiture à partir d’un satellite de surveillance, leurs lunettes de lecture nocturne peuvent pénétrer l’obscurité la plus profonde et leurs drones peuvent incendier un village isolé. Mais elles sont incapables de fournir de l’eau potable, des écoles ou la stabilité aux nations qu’elles attaquent.

En dépit de toutes ces armes du Pentagone à la technologie fantastique, la position géopolitique américaine se dégrade d’année en année. En dépit de sa puissance de feu massive et de son armement à la pointe de l’art, l’impérialisme américain a été incapable de reconquérir les marchés mondiaux et la position du capital financier américain. L’économie et l’industrie des EU ont été entraînées vers le gouffre par le simple poids du maintien en état de la machine militaire. Et, comme l'a montré la résistance en Irak et en Afghanistan, cette machine ne peut rivaliser avec la détermination des peuples à vouloir contrôler eux-mêmes leur propre avenir.

Puisque la puissante économie capitaliste américaine n’est capable que de proposer de moins en moins aux travailleurs d’ici, aux EU, il est certain que ce niveau de résistance déterminée va s’enraciner également.

Source: Workers World

Traduit par Jean-Marie Flémal pour Investig'Action

Images:
1- Rencontre de George W. Bush et de Barack Obama dans le bureau ovale de la Maison blanche , le 10 novembre 2008 par Eric Draper
2- Bombardier B52 par USAF
3- Latuff

 
Commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]





<< Accueil
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

Archives
février 2007 / mars 2007 / avril 2007 / mai 2007 / juin 2007 / juillet 2007 / août 2007 / septembre 2007 / octobre 2007 / novembre 2007 / décembre 2007 / janvier 2008 / février 2008 / mars 2008 / avril 2008 / mai 2008 / juin 2008 / septembre 2008 / octobre 2008 / novembre 2008 / décembre 2008 / janvier 2009 / février 2009 / mars 2009 / avril 2009 / mai 2009 / juin 2009 / juillet 2009 / août 2009 / septembre 2009 / octobre 2009 / novembre 2009 / décembre 2009 / janvier 2010 / février 2010 / mars 2010 / avril 2010 / mai 2010 / juin 2010 / juillet 2010 / août 2010 / septembre 2010 / octobre 2010 / novembre 2010 / décembre 2010 / janvier 2011 / février 2011 / mars 2011 / avril 2011 / mai 2011 / juin 2011 / juillet 2011 / août 2011 / septembre 2011 / octobre 2011 / novembre 2011 / décembre 2011 / janvier 2012 / février 2012 / mars 2012 / avril 2012 / mai 2012 / juin 2012 / juillet 2012 / août 2012 / septembre 2012 / octobre 2012 / novembre 2012 / décembre 2012 / janvier 2013 / février 2013 / mars 2013 / avril 2013 / mai 2013 / juin 2013 / juillet 2013 / août 2013 / septembre 2013 / octobre 2013 / novembre 2013 / décembre 2013 / janvier 2014 / février 2014 / mars 2014 / avril 2014 / mai 2014 / juin 2014 / juillet 2014 / août 2014 / septembre 2014 / octobre 2014 / novembre 2014 / décembre 2014 / janvier 2015 / février 2015 / mars 2015 / avril 2015 / mai 2015 / juin 2015 / juillet 2015 / août 2015 / septembre 2015 / octobre 2015 / novembre 2015 / décembre 2015 / janvier 2016 / février 2016 / mars 2016 / avril 2016 / mai 2016 / juin 2016 / juillet 2016 / août 2016 / septembre 2016 / octobre 2016 / novembre 2016 / décembre 2016 / janvier 2017 / février 2017 / mars 2017 / avril 2017 / mai 2017 / juin 2017 / juillet 2017 / août 2017 / septembre 2017 / octobre 2017 / novembre 2017 / décembre 2017 / janvier 2018 / février 2018 / mars 2018 / avril 2018 / mai 2018 / juin 2018 / juillet 2018 / août 2018 / septembre 2018 / octobre 2018 / novembre 2018 / décembre 2018 / janvier 2019 / février 2019 / mars 2019 / avril 2019 / mai 2019 / juin 2019 / juillet 2019 / août 2019 / septembre 2019 / octobre 2019 / novembre 2019 / décembre 2019 / janvier 2020 / février 2020 / mai 2020 /


Powered by Blogger

Abonnement
Articles [Atom]