ELWATAN-ALHABIB
dimanche 23 novembre 2008
 
G20 : un scénario incohérent qu’il faut réécrire complètement

par CDATM



Le sommet du G20, regroupant les grands pays industrialisés et émergents, vient de se réunir à Washington. La crise financière internationale est profonde, les Bourses ont perdu près de 40% de leur capitalisation en octobre 2008, les marchés financiers sont suspendus aux décisions prises par les Etats pour apporter des remèdes qui éclairciraient leur avenir bien assombri. Les feux de l’actualité internationale se sont braqués le temps d’un week-end sur Washington. Et pourtant...
Pourtant, que s’est-il passé à Washington ? Un spectacle affligeant, un scénario manquant franchement de crédibilité, mais trop peu de spectateurs s’en émeuvent. Dans les films policiers, il est assez rare que les clés du Palais de justice soient confiées aux coupables d’un crime abominable. C’est pourtant ce que le G20 est en train d’organiser...
Depuis la crise de la dette de 1982, les grands pays industrialisés ont promu avec vigueur des mesures économiques néolibérales que le FMI et la Banque mondiale ont été chargées d’imposer aux pays en développement. En proie à un surendettement provoqué par la chute des cours des matières premières durant les décennies 1980-90 et à une hausse brutale des taux d’intérêt décidée par les Etats-Unis en 1979, le Sud a été contraint de réformer son économie pour pouvoir servir ses créanciers : au menu, dérégulation forcenée, privatisations massives, ouverture des marchés au profit des grandes entreprises des pays industrialisés, réduction des budgets sociaux et de la fonction publique... Tous les maux venaient du fait qu’il y avait trop d’Etat, et il fallait réduire son influence sur la sphère économique à tout prix, même - et surtout - s’il cherchait à défendre l’intérêt du plus grand nombre.
Pour les populations du tiers-monde, le remède imposé par le FMI, la Banque mondiale puis l’OMC, à la demande des dirigeants des pays du Nord, fut pire que le mal. Les émeutes anti-FMI se sont multipliées, par exemple quand le prix du pain était doublé en une nuit. A l’exception notable de quelques gouvernements progressistes, souvent fortement déstabilisés en coulisses pour qu’ils rentrent dans le rang, la plupart des gouvernements du Sud ont appliqué ces mesures sans sourciller. Présentée comme indispensable à la création de richesse, la dérégulation économique a été étendue à la planète entière. Les institutions financières privées ont alors eu les mains libres pour inventer des produits financiers de plus en plus complexes dans le but d’engranger de plus en plus de profits, quitte à fermer les yeux sur les conséquences économiques réelles. Des montages financiers ahurissants ont été mis sur pied sans le moindre contrôle des autorités, et bien sûr sans aucune morale. Tant que cela fut possible, on a dissimulé la face obscure de cette dérégulation derrière de beaux petits chiffres de croissance, sans révéler que cette croissance concernait uniquement les plus riches et que l’on assistait en fait à une croissance prodigieuse des inégalités.
Puis vint le moment où il ne fut plus possible d’affirmer que la mariée était belle alors que sa robe était maculée de sang. La crise financière internationale s’est déclenchée en août 2007 et s’est aggravée durant l’année 2008. De grandes banques (Northern Rock, RBS, Bear Stearns, ING, Fortis, Dexia, UBS et tant d’autres), de grandes compagnies d’assurance (AIG), de grands organismes de crédit hypothécaire (Freddy Mac, Fannie Mae) ont appelé l’Etat à l’aide et il a souvent accepté de les renflouer ou d’organiser leur sauvetage. Mais au lieu d’en profiter pour reprendre le contrôle de cette mécanique inhumaine devenue folle, l’Etat a laissé le pouvoir de décision à ceux qui ont conduit l’économie mondiale dans l’impasse actuelle.
Ce sommet du G20 est révélateur du fait que les leçons n’ont pas été tirées. Les vieux démons du passé sont toujours là. Le FMI et la Banque mondiale, bien que délégitimés par l’échec des mesures imposées depuis 25 ans et par la crise de gouvernance qui les frappe depuis quelques années (démission forcée de Paul Wolfowitz de la présidence de la Banque mondiale, démissions de Horst Köhler et Rodrigo Rato du FMI avant la fin de leur mandat, enquête récente autour de Dominique Strauss-Kahn au FMI), sont toujours au cœur des solutions proposées. La relance des négociations à l’OMC pour accroître la déréglementation économique, qui vient de faire la preuve de son échec, est remise sur le tapis. Alors que les prêts du FMI ne trouvaient plus preneur, la Hongrie, l’Ukraine et le Pakistan viennent de se porter volontaires. Contrairement aux dénégations des institutions concernées, les mêmes conditionnalités inadmissibles sont toujours de mise : en contrepartie du dernier prêt, la Hongrie a dû décider entre autre la suppression du 13e mois et le gel des salaires pour les fonctionnaires. Le Japon a même proposé de fournir jusqu’à 100 milliards de dollars au FMI pour qu’il puisse accroître ses prêts et poursuivre sa funeste action. Par ailleurs, la réunion de Washington pour trouver une solution mondiale à la crise actuelle ne se tient pas dans le cadre des Nations unies, mais dans le cadre restreint du G20. Ce sont donc les promoteurs d’un modèle injuste et non viable à terme qui sont chargés de le tirer d’affaire. Les seules solutions proposées défendent l’intérêt des grands créanciers. Les populations et les pays pauvres n’ont toujours pas leur mot à dire.
Quand un scénario est aussi incohérent et aussi mal ficelé, on espère toujours un rebondissement final qui vienne apporter un peu de justice et de morale à l’ensemble. Ce rebondissement ne peut venir que des luttes sociales qui imposeront de par le monde une réorientation radicale des choix économiques. Et si le film finit aussi mal qu’il a commencé, le risque est grand que les spectateurs soient vraiment très mécontents et le fassent savoir aux vingt metteurs en scène de façon plutôt véhémente...
P.S.
Damien Millet est porte-parole du CADTM France (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org). Eric Toussaint est président du CADTM Belgique. Ils sont auteurs du livre 60 Questions 60 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM/Syllepse, novembre 2008.
www.cadtm.org
 
Commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]





<< Accueil
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

Archives
février 2007 / mars 2007 / avril 2007 / mai 2007 / juin 2007 / juillet 2007 / août 2007 / septembre 2007 / octobre 2007 / novembre 2007 / décembre 2007 / janvier 2008 / février 2008 / mars 2008 / avril 2008 / mai 2008 / juin 2008 / septembre 2008 / octobre 2008 / novembre 2008 / décembre 2008 / janvier 2009 / février 2009 / mars 2009 / avril 2009 / mai 2009 / juin 2009 / juillet 2009 / août 2009 / septembre 2009 / octobre 2009 / novembre 2009 / décembre 2009 / janvier 2010 / février 2010 / mars 2010 / avril 2010 / mai 2010 / juin 2010 / juillet 2010 / août 2010 / septembre 2010 / octobre 2010 / novembre 2010 / décembre 2010 / janvier 2011 / février 2011 / mars 2011 / avril 2011 / mai 2011 / juin 2011 / juillet 2011 / août 2011 / septembre 2011 / octobre 2011 / novembre 2011 / décembre 2011 / janvier 2012 / février 2012 / mars 2012 / avril 2012 / mai 2012 / juin 2012 / juillet 2012 / août 2012 / septembre 2012 / octobre 2012 / novembre 2012 / décembre 2012 / janvier 2013 / février 2013 / mars 2013 / avril 2013 / mai 2013 / juin 2013 / juillet 2013 / août 2013 / septembre 2013 / octobre 2013 / novembre 2013 / décembre 2013 / janvier 2014 / février 2014 / mars 2014 / avril 2014 / mai 2014 / juin 2014 / juillet 2014 / août 2014 / septembre 2014 / octobre 2014 / novembre 2014 / décembre 2014 / janvier 2015 / février 2015 / mars 2015 / avril 2015 / mai 2015 / juin 2015 / juillet 2015 / août 2015 / septembre 2015 / octobre 2015 / novembre 2015 / décembre 2015 / janvier 2016 / février 2016 / mars 2016 / avril 2016 / mai 2016 / juin 2016 / juillet 2016 / août 2016 / septembre 2016 / octobre 2016 / novembre 2016 / décembre 2016 / janvier 2017 / février 2017 / mars 2017 / avril 2017 / mai 2017 / juin 2017 / juillet 2017 / août 2017 / septembre 2017 / octobre 2017 / novembre 2017 / décembre 2017 / janvier 2018 / février 2018 / mars 2018 / avril 2018 / mai 2018 / juin 2018 / juillet 2018 / août 2018 / septembre 2018 / octobre 2018 / novembre 2018 / décembre 2018 / janvier 2019 / février 2019 / mars 2019 / avril 2019 / mai 2019 / juin 2019 / juillet 2019 / août 2019 / septembre 2019 / octobre 2019 / novembre 2019 / décembre 2019 / janvier 2020 / février 2020 / mai 2020 /


Powered by Blogger

Abonnement
Articles [Atom]