ELWATAN-ALHABIB
mardi 27 mars 2007
  Inch'Allah
par Uri Avnery

Mondialisation.ca,

Le 26 mars 2007

Gush Shalom

Ce ne sont pas seulement les Palestiniens qui doivent pousser un soupir de soulagement après la prestation de serment du gouvernement palestinien d’union nationale. Nous, Israéliens, avons une bonne raison de faire de même.
Cet événement est une vraie bénédiction, non seulement pour eux, mais aussi pour nous - si toutefois nous nous intéressons à une paix qui mette fin au conflit historique.
POUR LES Palestiniens, le résultat immédiat est l’élimination de la menace de guerre civile.
C’était un cauchemar. C’était également absurde. Des combattants palestiniens se tiraient dessus dans les rues de Gaza, à la grande joie des autorités d’occupation. Comme dans l’arène de la Rome antique, des gladiateurs s’entretuaient pour l’amusement des spectateurs. Des gens qui avaient passé des années ensemble dans les prisons israéliennes se comportaient soudain comme des ennemis mortels.
Ce n’était pas encore une guerre civile. Mais les incidents meurtriers auraient pu y conduire. De nombreux Palestiniens craignaient que, si les affrontements n’étaient pas immédiatement stoppés, une véritable guerre fratricide éclate. Le grand espoir du gouvernement israélien était bien sûr aussi que le Hamas et le Fatah se détruisent l’un l’autre sans qu’Israël ait à lever le petit doigt. Les services de renseignement israéliens l’avaient même prédit.
Je n’avais pas d’inquiétude à ce sujet. De mon point de vue, une guerre civile palestinienne n’était pas en jeu.
Tout d’abord, parce que les conditions fondamentales d’une guerre civile n’existaient pas. Les Palestiniens sont unis dans leur composition ethnique, culturelle et historique. La Palestine ne ressemble pas à l’Irak, avec ses trois peuples distincts ethniquement (arabes et kurdes), sur le plan religieux (chiites et sunnites) et géographiquement (nord, centre et sud). Elle ne ressemble pas à l’Irlande, où les protestants, descendants des colons, combattirent les descendants catholiques de la population indigène. Elle ne ressemble pas aux pays africains, dont les frontières ont été fixées par les maîtres coloniaux sans aucune considération des frontières tribales. Elle n’a pas connu de soulèvement révolutionnaire comme ceux qu’ont amenés les guerres civiles en Angleterre, en France et en Russie, ou de problème qui divise la population comme l’esclavage aux Etats-Unis.
Les incidents meurtriers qui éclatèrent dans la bande de Gaza étaient des luttes entre milices de partis, aggravées par des querelles entre hamulas (familles étendues). L’histoire a connu de telles querelles dans presque tous les mouvements de libération. Par exemple : après la Première guerre mondiale, quand les Britanniques furent obligés d’accorder l’autonomie à l’Irlande, une lutte sanglante entre combattants de la liberté éclata aussitôt. Des catholiques irlandais tuèrent des catholiques irlandais.
A l’époque de la lutte de la communauté juive en Palestine contre le régime colonial britannique (« le mandat »), une guerre civile n’a été évitée que grâce à une personne : Menahem Begin, le commandant de l’Irgoun. Il était déterminé à empêcher à tout prix une guerre fratricide. David Ben Gourion voulait éliminer l’Irgoun, qui refusait son leadership et sapait sa politique. Dans ce qu’on a appelé la « saison », il donna l’ordre à la Haganah, son organisation loyale, de kidnapper des membres de l’Irgoun pour les livrer à la police britannique, qui les torturait et les emprisonnait à l’étranger. Mais Begin interdit à ses hommes d’utiliser leurs armes pour se défendre contre des Juifs.
Une telle lutte entre Palestiniens ne se transformera pas en guerre civile, parce que l’ensemble des Palestiniens s’y opposent vigoureusement. Tout le monde se souvient que, pendant la rebellion arabe de 1936, le leader palestinien de l’époque, le grand mufti Hadj Amin Al-Husseini, massacra ses rivaux palestiniens. Pendant les trois années de la rébellion (appelées « événements » dans la terminologie sioniste) les Palestiniens s’entretuèrent plus qu’ils ne tuèrent de leurs opposants britanniques et juifs.
Résultat : quand les Palestiniens furent confrontés à leur épreuve existentielle suprême, dans la guerre de 1948, ils furent divisés et déchirés, faute de direction unifiée, et se trouvèrent dépendants de gouvernements arabes querelleurs, qui intriguaient les uns contre les autres. Ils furent incapables de résister à la communauté juive organisée, beaucoup plus petite, mais qui a rapidement mis sur pied une armée unifiée et efficace. Le résultat fut la nakba, la terrible tragédie historique du peuple palestinien. Ce qui s’est passé en 1936 marque encore la vie de chaque Palestinien jusqu’à ce jour.
Il est difficile de lancer une guerre civile si la population y est opposée. Même les provocations de l’extérieur - et je présume qu’elles n’ont pas manqué - ne peuvent la déclencher.
Je n’ai par conséquent jamais douté un seul instant qu’en fin de compte un gouvernement d’union verrait le jour, et je suis content que cela arrive aujourd’hui.
POURQUOI est-ce bien pour Israël ? Je vais dire quelque chose qui va choquer de nombreux Israéliens et leurs amis dans le monde.
Si le Hamas n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Si un gouvernement palestinien avait été formé sans le Hamas, nous aurions dû le boycotter jusqu’à ce que le Hamas en fasse partie.
Et si des négociations aboutissent à un accord historique avec la direction palestinienne, nous devrions y mettre comme condition que le Hamas le signe également.
Folie ? Bien sûr. Mais c’est la leçon que l’histoire nous lègue de l’expérience d’autres guerres de libération.
La population palestinienne dans les territoires occupés est divisée presque à égalité entre le Fatah et le Hamas. Signer un accord avec la moitié d’un peuple et continuer la guerre avec l’autre moitié n’a aucun sens. Après tout, nous devrons faire de sérieuses concessions pour la paix, comme le retrait dans des frontières beaucoup plus étroites et la restitution de Jérusalem-Est à ses propriétaires. Le ferons-nous en échange d’un accord que la moitié du peuple palestinien n’acceptera pas et dans lequel elle ne sera pas engagée ? Pour moi cela ressemble au summum de la folie.
J’irai plus loin : le Hamas et le Fatah ensemble ne représentent que la partie du peuple palestinien qui vit en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est. Mais des millions de réfugiés palestiniens (personne ne sait vraiment combien) vivent en dehors du territoire de Palestine et Israël.
Si nous aspirons effectivement à la fin réelle du conflit historique, nous devons parvenir à une solution qui les inclut également. Donc je m’interroge fortement sur la sagesse de Tsipi Livni et de ses collègues, qui demandent que les Saoudiens retirent de leur plan de paix toute mention du problème des réfugiés. C’est tout simplement stupide.
Le bon sens conseillerait exactement le contraire : demander que l’initiative de paix saoudienne, qui est devenue un plan de paix panarabe officiel, inclue la question des réfugiés, afin que le règlement final constitue également une solution du problème des réfugiés.
Ce ne sera pas facile, bien sûr. Le problème des réfugiés a des racines psychologiques qui touchent le cœur même du conflit palestino-sioniste et il concerne le sort de millions d’êtres humains. Mais quand le plan de paix arabe dit qu’il doit y avoir une solution « d’un commun accord » - c’est-à-dire d’un commun accord avec Israël - il le transfère du royaume des idéologies inconciliables au monde réel, le monde des négociations et du compromis. J’ai souvent discuté avec des personnalités arabes et je suis convaincu qu’un accord est possible.
LE NOUVEAU gouvernement palestinien est basé sur l’« accord de La Mecque ». Il semble que celui-ci n’aurait pas été possible sans l’énergique intervention du roi Abdallah d’Arabie Saoudite.
Le contexte international doit être pris en considération. Le président des Etats-Unis fait actuellement des efforts désespérés pour amener son aventure irakienne à une conclusion qui ne restera pas dans l’histoire comme un désastre total. Dans ce but il essaie de constituer un front sunnite qui neutraliserait l’Iran et mettrait fin à la violence sunnite en Irak.
C’est évidemment une idée simpliste. Elle ne tient pas compte de l’énorme complexité des réalités de notre région. Bush a présidé à l’installation en Irak d’un gouvernement dominé par les chiites. Il a essayé d’isoler la Syrie sunnite. Et le Hamas est bien sûr une pieuse organisation sunnite.
Mais le navire-Etat américain commence à virer de bord. En tant que navire géant, il ne peut le faire que très lentement. Sous la pression américaine, le roi saoudien a été d’accord (peut-être à contre-cœur) de prendre lui-même la direction du monde arabe après que l’Egypte eut échoué dans cette tâche. Le roi a persuadé Bush qu’il doit parler avec la Syrie. Maintenant il essaie de le persuader d’accepter le Hamas.
Dans ce tableau, Israël est un obstacle. Il y a quelques jours, Ehoud Olmert s’est envolé pour l’Amérique et a déclaré à la conférence du lobby juif, l’AIPAC, qu’un retrait d’Irak serait un désastre (contrairement, soit dit en passant, à l’opinion de plus de 80% des Juifs américains, qui soutiennent un retrait rapide). Cette semaine, l’ambassadeur américain à Tel-Aviv a laissé entendre qu’à partir de maintenant le gouvernement d’Israël est autorisé à engager des négociations avec la Syrie - et on peut supposer que cette allusion se transformera en ordre sous peu. Pendant ce temps, aucun changement de position du gouvernement israélien n’est perceptible.
MALHEUREUSEMENT, juste à ce moment-ci, avec un gouvernement palestinien nouvellement formé qui a de bonnes chances d’être fort et stable, le gouvernement d’Israël est de plus en plus déstabilisé.
Le soutien à Olmert dans les sondages est proche de zéro. Les points de pourcentage peuvent se compter sur les doigts d’une main. Pratiquement tout le monde parle de sa mort politique dans quelques semaines, peut-être après la publication d’un rapport intérimaire de la commission Vinograd sur la seconde guerre du Liban. Mais même si Olmert réussit à survivre, son gouvernement sera un canard boîteux, incapable de lancer quoi que ce soit de nouveau, et certainement pas une initiative forte vis-à-vis du nouveau gouvernement palestinien.
Mais si Bush nous soutient d’un côté, et le roi saoudien de l’autre, peut-être après tout ferons-nous quelques pas en avant. Comme le disent les gens de cette région : Inch’Allah - si Dieu le veut.
Uri Avnery est journaliste et cofondateur de
Gush Shalom , (en français Bloc de la Paix).Article publié le 18 mars, en hébreu et en anglais sur les site de Gush Shalom Traduit de l’anglais « Inshallah » : RM/SWAssociation France Palestine Solidarité (version française)
Articles Mondialisation.ca par Uri Avnery
 
Commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]





<< Accueil
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

Archives
février 2007 / mars 2007 / avril 2007 / mai 2007 / juin 2007 / juillet 2007 / août 2007 / septembre 2007 / octobre 2007 / novembre 2007 / décembre 2007 / janvier 2008 / février 2008 / mars 2008 / avril 2008 / mai 2008 / juin 2008 / septembre 2008 / octobre 2008 / novembre 2008 / décembre 2008 / janvier 2009 / février 2009 / mars 2009 / avril 2009 / mai 2009 / juin 2009 / juillet 2009 / août 2009 / septembre 2009 / octobre 2009 / novembre 2009 / décembre 2009 / janvier 2010 / février 2010 / mars 2010 / avril 2010 / mai 2010 / juin 2010 / juillet 2010 / août 2010 / septembre 2010 / octobre 2010 / novembre 2010 / décembre 2010 / janvier 2011 / février 2011 / mars 2011 / avril 2011 / mai 2011 / juin 2011 / juillet 2011 / août 2011 / septembre 2011 / octobre 2011 / novembre 2011 / décembre 2011 / janvier 2012 / février 2012 / mars 2012 / avril 2012 / mai 2012 / juin 2012 / juillet 2012 / août 2012 / septembre 2012 / octobre 2012 / novembre 2012 / décembre 2012 / janvier 2013 / février 2013 / mars 2013 / avril 2013 / mai 2013 / juin 2013 / juillet 2013 / août 2013 / septembre 2013 / octobre 2013 / novembre 2013 / décembre 2013 / janvier 2014 / février 2014 / mars 2014 / avril 2014 / mai 2014 / juin 2014 / juillet 2014 / août 2014 / septembre 2014 / octobre 2014 / novembre 2014 / décembre 2014 / janvier 2015 / février 2015 / mars 2015 / avril 2015 / mai 2015 / juin 2015 / juillet 2015 / août 2015 / septembre 2015 / octobre 2015 / novembre 2015 / décembre 2015 / janvier 2016 / février 2016 / mars 2016 / avril 2016 / mai 2016 / juin 2016 / juillet 2016 / août 2016 / septembre 2016 / octobre 2016 / novembre 2016 / décembre 2016 / janvier 2017 / février 2017 / mars 2017 / avril 2017 / mai 2017 / juin 2017 / juillet 2017 / août 2017 / septembre 2017 / octobre 2017 / novembre 2017 / décembre 2017 / janvier 2018 / février 2018 / mars 2018 / avril 2018 / mai 2018 / juin 2018 / juillet 2018 / août 2018 / septembre 2018 / octobre 2018 / novembre 2018 / décembre 2018 / janvier 2019 / février 2019 / mars 2019 / avril 2019 / mai 2019 / juin 2019 / juillet 2019 / août 2019 / septembre 2019 / octobre 2019 / novembre 2019 / décembre 2019 / janvier 2020 / février 2020 / mai 2020 /


Powered by Blogger

Abonnement
Articles [Atom]